Incarnation du diable pour ses proches, Régina Delavale, quatre-vingt-dix-sept ans, folle à lier au sens propre, meurt à l’hôpital sous l’effet de la dose mortelle de sédatif qu’un jeune et brillant médecin lui a administré en toute connaissance de cause.
Pour avoir accompli cet acte d’humanité pure, ce bien suprême, non pas à l’égard de la morte, mais des vivants, Diana, fille de Régina, tente de sauver le médecin de la prison.
Le palais en noyer, tel une arborescence généalogique inversée, se construit en quinze chapitres, numérotés de XV à I. Ainsi, en une spirale chronologique, l’auteur remonte de plus en plus loin dans l’histoire de la Bosnie et de la Croatie, reliant l’année 2002 à 1878, année de l’annexion de la Bosnie par l’Empire Austro-Hongrois, en une saga historique et familiale.
Sous prétexte de raconter la vie de Régina, de sa fille, de son mari, de ses frères, parents et grand-parents, Milenko Jergovic, dépeint une région multiethnique et turbulente, homogène et dissemblable, en oscillation permanente entre pays et territoire, à l’image d’un monde déchiré - et déjà globalisé - par les guerres modernes.
Toute la complexité de cette région yougoslave (au sens le plus large de « terre des slaves du Sud ») est contenue dans le titre. Le noyer, arbre solide, au feuillage protecteur et au bois sombre, joue ici un rôle ambivalent : source de nourriture par ses fruits, source de mort par son essence (le noyer a longtemps servi à la fabrication des crosses de fusils).
Bien qu’à peine mentionnées, le roman fait naturellement écho aux récentes guerres en ex-Yougoslavie. D’ailleurs cet oubli n’est pas dû au hasard. Né en 1966, dans un pays européen paisible et cosmopolite, l’auteur fait partie d’une génération, qui n’a fondamentalement pas compris les raisons de la guerre. C’est précisément ce qu’il est allé chercher dans ce passé : les liens d‘effet à cause, entre ce qui suit et ce qui précède.
Peu avare de détails, le récit n’hésite pas à emprunter des ramifications de plus en plus menues, afin de mettre à nu l’âme humaine, pour tenter de comprendre l’origine du mal. C’est ce mécanisme qui préoccupe l’auteur de ce roman passionnant.